
Ça, (sur la photo) c’est chez Georgette*.
Une maison coquette, avec son parterre fleuri, ses roses généreuses qui sentent délicatement bon…
Nous y faisons halte pour y acheter des œufs. Mon amie m’a prévenue :
- Chez Georgette, c’est tellement cracra que personne dans le village ne lui parle. A part les Parisiens.
Ce qui évidemment ne doit pas arranger ses affaires.
Georgette sort la tête par la porte de l’ex écurie, avec un immense sourire. Ce sont toutes mes terreurs d’enfance qui remontent. Sur le menton, elle a des poils de barbe suffisamment longs pour coudre un bouton. La moustache est clairsemée, mais bien présente. Ses dents éparses ont la couleur du caramel raté. Mais le pire, ce sont ses yeux. D’un bleu vert magnifique, ils pétillent de vivacité et de gentillesse. Je me sens scannée des pieds à la tête dans mon petit short Stella Forest. Plus parisienne que jamais. Irréversiblement décalée. A la façon dont Georgette me regarde, je suis convaincue qu’elle lit dans mes pensées, qu’elle voit l’horreur dans mes yeux, le dégoût. Et j’ai honte.
Je suis invitée à pénétrer dans la cuisine. C’est une antre obscure et encombrée de tout, avec trois chiens hystériques qui aboient sans savoir pourquoi. L’odeur me saute à la gorge. Une odeur indicible de renfermé et de crasse, de lait caillé, de passé, d’animalité. Je reste en retrait. Georgette renouvelle son invitation. Puis comme je décline, elle me dit gentiment :
- Vous avez peur des chiens ? Ah, alors je comprends.
Je fais les cent pas devant la maison. Sens les roses, découpe une tige de chélidoine. Et découvre que le mari de Georgette m’observe depuis un moment.
- Ce sont des plantes anti-verrue, dis-je, toute fière de ce savoir, malgré mon origine géographique.
- Beeeeh, j’en ai une sous l’pied, mais ça marrrche pas.
J’avale difficilement ma salive, certaine que je ne couperai pas à un passage en revue de la verrue. Me rapproche néanmoins pour lui serrer la main. Ai juste le temps d’apercevoir la sienne grouillant d’escargots baveux bien vivants. Le jardinier en cote de travail bleue me regarde avec un immense sourire satisfait. Fier de son effet.
En mangeant mes œufs coque le soir, je me dis que je déteste décidément cette expression de « France profonde » inventée par des Parisiens – comme moi – qui regardent du dessus cette réalité-là avec une condescendance déplacée. Et me demande qui dans l’histoire, au juste, est profond, Français, ou profondément Français…
* J’ai évidemment modifié le nom mais choisi un prénom qui rime avec barbichette.